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Christian Dumas, Hervé Vaucheret et Olivier Voinnet

Hervé Vaucheret et Olivier Voinnet

Le Grand Prix scientifique de la Fondation Louis D.,
d'un montant de 750 000 euros, sur le thème : "les nouveaux acquis en biologie des plantes et amélioration des ressources végétales et vivrières", est attribué conjointement à MM. Hervé Vaucheret et Olivier Voinnet .

Film de présentation
des travaux de MM. Hervé Vaucheret
et Olivier Voinnet

M. Hervé Vaucheret

Hervé Vaucheret

État des lieux


Âgé de 46 ans, Hervé Vaucheret, directeur de recherche de 1ère classe à l’lNRA, est l’un des précurseurs d’un nouveau domaine scientifique en plein essor : la régulation de l’expression des gènes par les petits ARNs. Ses travaux portent sur les virus, les mécanismes épigénétiques et les procédés d’inactivation de gène par interférence ARN dans des buts de recherche fondamentale ou appliquée. En 2003, il reçoit le Grand Prix Jaffé de l’Académie des Sciences. En 2005, il est élu membre de l’EMBO (European Molecular Biology Organization) et la même année, il reçoit la médaille d’argent du CNRS.


Les virus affectent sévèrement les productions animales et végétales. Les moyens de lutte demeurent limités car il est difficile d’empêcher la multiplication d’un virus sans affecter les cellules des animaux et des plantes infectés. En revanche, des stratégies de prévention existent. À la fin du XIXe siècle, Pasteur avait montré que lorsqu’un être humain réussit à surmonter spontanément une infection virale, le même virus ne peut plus l’infecter à nouveau. On sait maintenant que le système immunitaire des mammifères produit des anticorps spécifiques en réponse à chaque infection virale. Ces anticorps peuvent persister plusieurs années et protéger l’organisme contre toute nouvelle infection par le même virus. C’est le principe de la vaccination (ou immunisation), couramment utilisée aujourd’hui pour protéger l’homme et les animaux de nombreuses maladies virales. Les plantes ne possèdent pas de système immunitaire produisant des anticorps. Cependant, au début du XXe siècle, Wingard avait remarqué que certaines variétés étaient capables, après infection par certains virus, de développer des tissus sains, résistants à la surinfection par le même virus. Ce phénomène, décrit sous le terme de récupération (recovery en anglais), est resté longtemps inexpliqué. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que les travaux de plusieurs équipes, dont celle de Hervé Vaucheret, ont permis de comprendre les mécanismes moléculaires de la récupération.

Le rôle des petits ARN chez les plantes : un bouclier vert efficace

Les virus possèdent un patrimoine génétique très restreint. Ils utilisent donc les cellules de la plante infectée pour traduire leur ARN en protéines qui leur permettront de se reproduire et d’envahir la plante. En réaction à l’infection virale, les cellules de la plante transforment également une partie de l’ARN viral en molécules plus petites (les petits ARN) qui sont utilisées par des enzymes de la cellule pour détruire l’ARN viral en retour. La production de petits ARN perdure dans la plante après l’infection, ce qui lui permet de se défendre immédiatement en cas de surinfection par le même virus. La destruction de molécules d’ARN viral par des petits ARN est désignée sous le terme d’interférence ARN (iARN).

Contrairement au système immunitaire animal qui peut produire un nombre important mais fini d’anticorps, l’iARN peut quant à elle produire un nombre infini de petits ARN puisque ceux-ci dérivent directement du virus, quelle que soit sa séquence. Ce processus devrait donc théoriquement permettre à la plante de se débarrasser de n’importe quel virus avec la même efficacité. Toutefois, de nombreux virus ont, au cours de l’évolution, acquis des mécanismes qui leur permettent de contrecarrer l’iARN. Parallèlement à leur rôle dans la lutte antivirale, les enzymes de l’iARN permettent à la plante de réguler finement l’expression de ses gènes au cours du développement et en réponse aux fluctuations de l’environnement. Par ailleurs, la plante possède des enzymes, dites de contrôle de la qualité de l’ARN, qui lui permettent de corriger les erreurs de ses propres cellules. En effet, il arrive parfois que les ARN d’une cellule ne soient pas conformes à la copie ADN de leur génome. Ces ARN aberrants sont reconnus et dégradés par les enzymes qui contrôlent la qualité de l’ARN. Ces enzymes peuvent aussi dégrader certains ARN viraux qui, de ce fait, ne peuvent être transformés en petits ARN capables de promouvoir une résistante durable. Cette voie de contrôle rentre donc en compétition avec les défenses antivirales durables de type iARN. L’équipe de Hervé Vaucheret, a ainsi montré que des plantes déficientes pour le contrôle de la qualité de l’ARN étaient plus résistantes à l’infection virale alors que des plantes déficientes pour l’iARN étaient plus sensibles à l’infection virale.

Un Prix pour quoi faire ?

Ce Prix doit permettre à Hervé Vaucheret et à son équipe de continuer leurs recherches et d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, c’est-à-dire :

M. Olivier Voinnet

Olivier Voinnet

Parution d'un article sur le parcours d'Olivier Voinnet dans la revue Science

Suite à la récente attribution de la médaille d'or par l'European Molecular Biology Organization (EMBO), parution d'un article sur le parcours d'Olivier Voinnet dans la revue Science le 29 mai 2009 : Finding His Voice in Gene Silencing

Objet de recherche identifié : le RNA silencing

Âgé de 36 ans, Olivier Voinnet, directeur de recherche de 2e classe au CNRS, a fondé un groupe de recherche, au sein de l’Institut de Biologie Moléculaire des Plantes (IBMP) pour travailler sur les mécanismes moléculaires, cellulaires et génétiques du phénomène de "silencing" des ARN messagers. Il s’agit d’un processus de régulation génétique nouvellement identifié, que l’on retrouve conservé chez la plupart des organismes eucaryotes, de la levure jusqu’à l’Homme.

Olivier Voinnet et son équipe s’intéressent plus particulièrement aux fonctions défensives du RNA silencing, principalement en tant que mécanisme de résistance aux agents pathogènes, qu’il s’agisse des virus ou des bactéries. Leur principal modèle d’étude est la plante supérieure Arabidopsis thaliana, dans laquelle ils effectuent des approches génétiques et biochimiques, qui leur ont permis d’établir que le RNA silencing, outre ses multiples fonctions cellulaires, constitue un système antiviral très sophistiqué.

Ainsi, en 2007, il a reçu la médaille d’argent du CNRS. Par ailleurs, il est aussi membre de la prestigieuse European Molecular Biology Organization (EMBO) dont il a reçu la médaille d'or Embo (la plus haute distinction européenne en biologie moléculaire) en 2009.

Un système d’immunisation antiviral chez les plantes

La plupart des virus végétaux ont un génome composé d’ARN et produisent naturellement de l’ARN double brin, la molécule activatrice de cette défense. L’ARN double-brin est reconnu par des enzymes spécifiques de la plante, appelées "Dicer", qui le découpent en autant de sous-unités de très faible poids moléculaire, dites petits ARN interférants (ou short interfering RNA, siRNA, en anglais).

Une fois synthétisés, les siARN viraux incorporent un complexe protéique antiviral, et guident ce dernier pour diviser les ARN du pathogène complémentaires aux siARN produits. Un aspect fondamental de la réaction d’immunité par interférence est donc qu’elle est totalement innée, car elle n’est pas programmée par l’hôte mais, au contraire par des caractéristiques structurales et nucléotidiques du génome du pathogène. L’ARN double brin viral peut donc être considéré comme un patron moléculaire associé au pathogène (PAMP, en anglais) dont la reconnaissance par l’hôte induit une réponse de défense séquence-spécifique.

Perspectives et applications

La découverte d’un schéma de défense / contre-défense entre les phytovirus (virus s’attaquant aux plantes) et leurs hôtes a permis de considérablement améliorer notre compréhension des viroses affectant les espèces cultivées. Elle permet par exemple d’élucider les bases moléculaires de pratiques culturales « classiques » utilisées dans la lutte contre les virus, notamment la culture de méristèmes ou bien encore la protection croisée, très employée avec les agrumes. Ces découvertes ont aussi été décisives pour l’amélioration ou l’élaboration de stratégies originales de protection par l’ARN, ayant donné des résultats parfois tout à fait spectaculaires, en autorisant la reprise de cultures à haute valeur ajoutée (papaye et coton) dans des régions où celles-ci avaient été tout simplement abandonnées, les pertes étant trop importantes. Il est tout à fait concevable de pouvoir, à moyen terme, exacerber les défenses antivirales de la plante en renforçant l’expression de facteurs clé du RNA silencing, une approche initiée par Olivier Voinnet et son équipe. Cette approche consiste à cibler de façon systématique des molécules synthétisées chimiquement ou isolées à partir de certaines plantes afin de mesurer leur effet bénéfique potentiel sur l’activité des protéines « Dicer » antivirales des plantes. Ceci devrait aboutir à la formulation de traitements phytosanitaires (substances servant à prévenir ou soigner les organismes végétaux) ponctuels permettant de stimuler le système immunitaire des plantes en conditions de viroses, qu’elles soient potentielles ou établies. Enfin, la découverte des suppresseurs viraux a ouvert un nouveau champ d’investigation en virologie moléculaire fondamentale, générant plusieurs centaines d’articles originaux, non seulement dans le domaine végétal, mais aussi dans le domaine animal puisque des mécanismes similaires ont par la suite été découverts chez les virus d’invertébrés tandis que leur existence chez les mammifères demeure débattue. Par ailleurs, les gènes de microARN (miARN) constituent donc une source encore inexploitée de résistance des plantes aux agents pathogènes (autres que les virus), notamment chez les plantes cultivées. Cette découverte a d’ailleurs fait l’objet d’un dépôt de brevet par Olivier Voinnet, dans lequel des procédures simples sont décrites, permettant l’amélioration de certains traits agronomiques par manipulation du patrimoine de miARN d’une plante d’intérêt. Plus fondamentalement, l’identification de facteurs de virulence bactériens qui suppriment la voie miARN endogène pose des questions fascinantes quant à leur mode d’action et cibles cellulaires, et au parallèle qui peut être fait avec les infections bactériennes Humaines. Il est très probable que l’élucidation de ces questions apportera de nouvelles données pour permettre des avancées importantes des connaissances générales du RNA silencing, indispensables à l’exploitation agronomique, vétérinaire ou thérapeutique de ce processus de régulation génétique universel.